Le gouverneur de la Banque centrale, Jean-Baden Dubois, a annoncé, à côté de l’injection de 100 à 150 millions de dollars sur le marché des changes d’ici la fin de l’exercice fiscal au 30 septembre, qu’il a été décidé, au plus haut niveau de l’État, de mettre de « l’ordre » sur le marché des changes, de rapprocher et de maintenir le taux de change du marché informel et du marché formel, en conférence de presse, le lundi 22 août 2022.
« Nous savons que beaucoup d’entités formelles se sont jetées dans le marché informel tant pour l’achat que pour la vente de dollars. Au plus haut niveau de l’État, nous décidons de mettre de l’ordre », a-t-il prévenu. « Le taux de change du secteur informel va se rapprocher de celui du marché formel. Ce taux sera maintenu », a assuré Jean-Baden Dubois, qui a dégainé des menaces.
Vers l’éclatement de la « bulle spéculative »
« Le problème est que tous les Haïtiens sont devenus des agents de change. Quand la bulle spéculative va éclater, qu’on ne vienne pas me dire que la Banque de la République d'Haïti (BRH) est méchante. Rien, a pesté Jean-Baden Dubois, ne justifie ce taux sur le marché informel, ce désordre que l’on voit aujourd’hui ». Quant aux pertes de change que risque de provoquer l’effet balançoire sur le marché des changes pour les petits porteurs et d’autres qui font de la spéculation, comme on l’avait vu il y a deux ans, Jean-Baden a assumé. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs », a averti le gouverneur de la banque centrale, qui brandit la défense du « bien commun » comme la boussole de ses actions.
Le gouverneur Jean-Baden Dubois, interrogé sur le retard pris avant d’annoncer ces mesures et les résultats escomptés alors que la gourde coule à pic, deux ans après avoir constaté un basculement de l’intermédiation financière dans le secteur informel, a soutenu qu’il faut des lois dans certains domaines dont le contrôle des jeux de hasard.
Sans se défiler, le vice-gouverneur Georges Henry Fils a reconnu que des mesures prises par la BRH peuvent avoir été contournées par ces opérateurs de l’informel qui ne muent pas le profit. « Ils cherchent à contourner les mesures. Nous sommes là pour rectifier », a fait savoir le vice-gouverneur qui a évoqué la prise d’autres mesures.
Des mesures
« La réponse de la banque centrale va agir à la fois sur l’offre et sur la demande, et parfois sur les deux », a annoncé Jean Baden Dubois qui, sans rentrer dans les détails, a annoncé une « révision majeure » de la circulaire 114-2 sur les transferts d’argent, et aussi de la circulaire 114-3. Il a aussi annoncé l’augmentation du coefficient de réserves obligatoires sur les passifs en monnaies étrangères à 53 %. « Nous avons effectué un changement dans la circulaire 88-1 de façon à rendre plus chers les taux d’intérêt sur les lignes de crédit. C’est important parce que plusieurs personnes ont fait des tirages sur leurs lignes de crédit pour faire le commerce de dollars. Nous mettons une restriction et rendons plus difficile l’arbitrage en gourde. Nous avons révisé à la hausse les taux directeurs dans un souci d’assécher les liquidités, de diminuer la capacité d’arbitrage des banques pour qu’elles n’achètent pas des dollars avec leurs liquidités en gourde. Nous augmentons les taux directeurs comme réponse à l’inflation. À partir du 1er octobre, on ira vers l’élargissement des bons du Trésor avec un taux d'intérêt de 11,5 % », a détaillé Jean Baden Dubois. C’est un taux plus intéressant que le 0,25 % qu’offrent des banques commerciales pour les comptes d’épargne et le 6, 7 % sur les dépôts à terme. Le gouverneur de la Banque centrale a encouragé les fonds de pension de l’ONA, de l’Ed’H à faire l’acquisition de bons du Trésor qui offrent un meilleur retour sur investissement. Au lieu de recourir au financement monétaire, l’Etat pourra avoir l’argent des bons du Trésor pour financer ses activités, a-t-il expliqué, annonçant un partenariat pour le renforcement de l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF). « Ce partenariat va aider l’UCREF dans son travail en faveur de la transparence contre le blanchiment, le terrorisme. Un protocole sera signé cette semaine. Il facilitera les traitements des dossiers », a indiqué Dubois, qui met en avant l’importance des actions pour sortir Haïti de la liste grise du Gafi. Il est revenu sur l’extrême nécessité d’afficher les prix en gourde dans l’économie et s’est fendu au passage d’une mise en garde aux opérateurs qui font des transferts par Zell, Cash App. Ils ont jusqu’au 30 septembre pour contacter la BRH et se formaliser.
Contexte de la hausse de la demande de dollars
Le gouverneur Jean Baden Dubois, qui veut mettre de l’ordre sur le marché des changes, souligne qu’il faut agir tant sur le conjoncturel que sur le structurel. L’économie haïtienne qui bouclera le 30 septembre 2022 une quatrième année de récession, avec un taux de croissance de -0,4 % du PIB, à cause de chocs politiques « Peyi lòk », des effets de la Covid-19 et d’autres chocs externes, a vu une chute de la gourde par rapport au dollar et une augmentation des prix. Le taux de référence, une pondération des opérations de vente sur le marché des changes, affichait au 30 septembre 2021, 97 gourdes 36 pour 1 dollar contre 126 gourdes pour 1 dollar ce 20 août 2022, a expliqué Jean Baden Dubois. La demande de dollars a augmenté, le volume d’importation a augmenté de 32 %, le volume reçu a diminué de 19 %. Il est également observé une baisse de 3 % du volume de transferts sans contrepartie vers Haïti, à cause de la migration d’Haïti vers la République dominicaine et de la hausse de l’inflation qui, en juin, a dépassé 9 %, selon Jean Baden Dubois. Pour Dubois, il faut des mesures salutaires mais impopulaires pour produire. L’augmentation de l’offre du dollar doit passer par l’exportation, le tourisme, la diaspora haïtienne. « Il faut prendre des décisions pour agir sur l’offre de dollar, résoudre le problème de sécurité en priorité », a plaidé le gouverneur de la Banque centrale, Jean Baden Dubois.
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